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Muriel Martinella

Les enténébrés de Sarah Chiche


Chiche ? Elle l'a fait. D’aucuns se seraient cassés la figure à écrire ce roman, elle, s’en est tirée haut la main.

Une histoire d’amour qui ne reprend pas le triangle amoureux habituel de la femme qui, atteinte de bovarysme, tente d’échapper à la monotonie de la vie provinciale et conjugale en trompant son mari.

Pas du tout. Sarah aime son homme et semble heureuse avec leur petite fille. Un déplacement professionnel, et la voilà fléchée au cœur, une nouvelle fois, par Cupidon en rencontrant Richard, un musicien renommé aux cheveux blancs affriolants et avec lequel elle va retrouver la part perdue d’elle-même. Un coup de foudre qui se double du pressentiment du mal qui va être fait. Forcément.

Mais en attendant cette issue inéluctable, comment vivre cette relation ?

Le plus sereinement, le plus entièrement possible. Tenir l’autre dans l’ignorance, n’est pas le tromper, n’est pas lui faire du mal, puisqu’il ne sait rien.

Sarah va donc vivre deux vies parallèles, deux vies intelligentes et bonnes, menées avec une sorte d’éthique toute personnelle qui apporte silence et mensonge. Car aimer n’est pas forcément tout dire, aimer, c’est aussi protéger l’autre…

Et c’est là où Sarah Chiche excelle aussi bien dans le fond que dans la forme. Car, en en même temps que cette fascinante expérience adultérine, (on tremble pour l’héroïne, on se demande jusqu’où elle va aller dans la dissimulation), cette relation va lui donner l’occasion de se confronter à une histoire familiale tourmentée.

Et là, accrochez-vous pour ne pas vous emmêler les pinceaux car ce sont quatre voix qui se mêlent (celles de son arrière-grand-mère, de sa grand-mère, de sa mère et la sienne propre) pour faire revivre la folie, l’inceste, la prostitution ou l’internement. Un long rêve qui tourne au cauchemar, une suite d’images psychiques, des images perdues d’enfance, ou d’enfance perdue, hantées par un grand-père déporté à Buchenwald et la mort d’un père que Sarah n’a jamais connu…

Dans ce climat délétère d’un puzzle familial hors du commun, dans ce monde actuel où tout part à vau-l’eau, on prend conscience d’une sorte de malédiction, d’une chute, d’une damnation qui se transmet de mère en fille…

Et alors que ces trois femmes, sa mère, sa grand-mère et son arrière-grand-mère lesquelles, en tant qu’aliénées, l’ont précédée à l’hôpital psychiatrique St Anne, Sarah leur emboîte le pas pour suivre le même chemin, mais elle, en tant que thérapeute…La malédiction s’arrêterait-elle enfin ?

Est-ce un roman purement fictionnel ? où commence, où s’arrête la partie autobiographique ? On est en droit de se le demander puisque l’héroïne s’appelle aussi Sarah. Qu’elle est psychologue clinicienne et psychanalyste tout comme l’auteur, et tout comme elle, écrivain, mariée et mère d’une petite fille.

Un roman dense, intelligent, riche, si riche qu’une seule lecture n’y suffira point. Une écriture fiévreuse, vibrante de folie et de réalisme, chapeau bas Madame Chiche.

EDITEUR : Le Seuil (3 janvier 2019). Broché: 368 pages. Collection : Cadre rougeLangue : Français

RESUMÉ :

Automne 2015. Alors qu'une chaleur inhabituelle s'attarde sur l'Europe, une femme se rend en Autriche pour écrire un article sur les conditions d'accueil des réfugiés. Elle se prénomme Sarah. Elle est aussi psychologue, vit à Paris avec Paul, un intellectuel connu pour ses écrits sur la fin du monde, avec qui elle a un enfant. À Vienne, elle rencontre Richard, un musicien mondialement célébré. Ils se voient. Ils s'aiment. Elle le fuit puis lui écrit, de retour en France. Il vient la retrouver. Pour Sarah, c'est l'épreuve du secret, de deux vies tout aussi intenses menées de front, qui se répondent et s'opposent, jusqu'au point de rupture intérieur : à l'occasion d'une autre enquête, sur une extermination d'enfants dans un hôpital psychiatrique autrichien, ses fantômes vont ressurgir. S'ouvre alors une fresque puissante et sombre sur l'amour fou, où le mal familial côtoie celui de l'Histoire en marche, de la fin du xixe siècle aux décombres de la Deuxième Guerre mondiale, de l'Afrique des indépendances à la catastrophe climatique de ce début de millénaire.

L'AUTEUR :

Sarah Chiche est écrivain, psychologue clinicienne et psychanalyste. Elle est l'auteur de deux romans : L'inachevée (Grasset, 2008) et L'Emprise (Grasset, 2010), et de trois essais : Personne(s), d'après Le Livre de l'Intranquillité de Fernando Pessoa (Éditions Cécile Defaut, 2013), Éthique du mikado, essai sur le cinéma de Michael Haneke (PUF, 2015), Une histoire érotique de la psychanalyse : de la nourrice de Freud aux amants d'aujourd'hui (Payot, 2018).

EXTRAIT DES ENTÉNÉBRÉS :

« Je pleure parce que, malgré nos gestes, nos décisions, et alors même que nous croyons faire entendre notre voix, nous ne sommes que des pantins ventriloqués par ce qui nous dépasse. Nous avons beau nous mettre en route vers le monde, sur le chemin de la vie, arrive toujours un moment, une station de notre voyage, où nous sommes ramenés à cette question : mais de quoi sommes-nous la faute ? »


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