top of page
Rechercher
  • Muriel Martinella

Une écriture solaire pour une sombre histoire


Si ce roman était un tableau, il serait « la révolte des penn sardines », car le véritable héros du livre, c’est lui…

« Une femme attend dans une salle d’attente une autre femme qui n’est pas venue ».

Cela se passe en Bretagne et l’on perçoit dans l’air revigoré par les embruns, un crachin de tragédie. Tragédie passée ou à venir, l’acheminement dans la lecture confirme cette atmosphère lourde malgré la distance mise dans les mots. Sur cette côte bretonne, on y trouve le vent, des falaises, et en contrebas de ces falaises, il se passe des choses… A commencer par ce corps que l’on retrouve disloqué parmi les rochers.

Il y a un musée aussi. Et c’est parmi ces murs que cette femme continue d’attendre, assise devant ce tableau « la révolte des penn sardines » ; un tableau qui lui parle, qui fait résonner en elle toute une lignée familiale de femmes de marins dont elle fait partie depuis Suzanne, « la coupeuse de sardines », son arrière-arrière-grand-mère.

Au centre du tableau, ce drapeau rouge, brandi comme un étendard par la meneuse bretonne des deux mille ouvrières de l’usine de conserves. Dans un long serpentin hérissé de leurs fameux bigoudènes, elles crient leur revendication à gagner un sou de plus. C’est la grève des sardinières, elles claquent du sabot, font gronder leur colère de leurs petites bouches grandes ouvertes.

Elle a été embauchée comme gardienne du musée et une drôle de coïncidence l’a plantée là, justement devant ce tableau où figure, elle en est sûre, son aïeule. Et les heures interminables s’écoulent lentement, trop lentement. Elle pèse une tonne d’ennui sur sa chaise de gardienne, fesses endolories et genoux serrés, tandis que les rares visiteurs font le tour des tableaux.

De génération en générations, les femmes de marin ont été destinées à attendre.

Et elles attendent.

Suzanne attendait son marin de mari au bout de la jetée. La grosse Marylou a eu son lot de malheurs plus souvent qu’à son tour. Une vie coupée en deux avec un « avant » et un « après », survivant « à l’enfer » malgré tout, « au cataclysme », puis attendant Malo son mari, elle aussi…

Emmanuelle et Malo, unis dans la tragédie. L’une échoue au bas de la falaise, l’autre fait trois tonneaux en voiture.

Il y a ces mensonges, ces vrais mensonges qu’on enferme en soi et qui se sédimentent, deviennent durs comme de la pierre. Dans ces villages de la côte bretonne, les secrets de famille perdurent… Ils font nos délices de lecture parce qu’ils constituent souvent de bons romans.

Dans cette région, les femmes attendent les hommes depuis toujours…

Et ce tableau des sardinières, elle a beau le regarder, il ne fait pas avancer les aiguilles.

Son père, artiste peintre, a un jour tout jeté, tout son matériel, peintures et pinceaux. Alors, il est normal que sa fille soit devenue gardienne de musée à surveiller des tableaux. Il est normal qu’elle communique avec les visiteurs en s’appliquant doucement afin que sa voix s’accorde à ce lieu… Il est normal qu’elle veille ces tableaux comme la prunelle de ses yeux.

Elles sont quatre générations de femmes à avoir attendu. Suzanne guettait le retour de Moïse, Marylou guettait l’arrivée de Malo, Emmanuelle guettait le courrier, et elle guette la fin de sa journée, assise sur sa chaise de gardienne de musée.

C’est une belle histoire que nous conte-là Dominique lebel, avec un je-ne-sais-quoi dans l’air ou dans les personnages, simples, mais cabossés, toujours humains, des déferlantes de Claudie Gallay. Leur béquille d’existence est souvent rude. J’aime le rythme de ses phrases au style direct et sec. J’aime les mots choisis, le ton décalé. J’aime Dominique Lebel, que voulez-vous ? Ce n’est pas le genre de lecture à lire d’un œil, pas le genre de musique à écouter d’une oreille, suivez bien, sinon vous vous perdrez dans les méandres du « qui est qui » ou du « qui fait quoi ».

A mesure que l’histoire progresse, l’auteur installe l’atmosphère tranquillement, sereinement, mais ne vous fiez pas à ce ton placide empreint d’humour.

A vous d’attendre maintenant, avant de pouvoir vous immerger dans ce lundi éclaboussé de soleil…

Fiche technique :

Résumé : Emmanuelle avait disparu depuis quatre jours quand on l’a retrouvée, au bas de la falaise. Elle portait aux pieds ses Converse bleues, qui faisaient une tache colorée dans le paysage. Son visage était intact, mais son corps était cassé, disloqué à l’intérieur en une multitude de petites fractures. Il aurait fallu des années pour réparer un tel désastre. « Nom de Dieu de Nom de Dieu », a murmuré le pêcheur à la mouche quand il l’a aperçue. Et puis il n’a plus rien dit, il ne pouvait plus trop parler. Aujourd’hui encore, il ne vous en dirait pas grand-chose. Mais il se souvient qu’on était un lundi. Et que, pour une fois, il faisait beau.

Nombre de pages : 190 pages

Editeur : Éditions Hélène Jacob; Édition : (30 mars 2015)

Biographie : Dominique Lebel est agrégée de lettres modernes et diplômée de l'Ecole du Louvre. Elle voue une admiration sans bornes à Camus, Racine, Modiano et Philippe Djian.


25 vues0 commentaire
bottom of page