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  • Muriel Martinella

Salon du livre : chapeau, la gaufre !


Il y a foule en ce dimanche.

Dès 10h du matin, ils sont là à déambuler parmi les étals de livres l’œil scrutateur et le pas lent de ceux qui fouinent… je m’y suis préparée. Cette fois-ci, pas question de laisser passer le badaud sans broncher, le derrière scotché à ma chaise. 1500 flyers que j’ai fait imprimer. Ah, ils vont en bouffer du flyer ! Que ça leur plaise ou non.

Un petit flyer, ça vous dit ? (sourire engageant). Le papier flottant à 15 cm de leur nez, ils ne peuvent refuser. Le temps qu’ils abaissent le regard sur l’affiche, imprimée en double face de la couverture du livre et de son quatrième de couverture, j’embraie aussitôt : c’est un récit autobiographique ; mon parcours initiatique sur les chemins de la spiritualité. Leur visage alors, se ferment ou s’ouvrent, c’est selon. A moi de le capter pour aussitôt enquiller dans une direction ou une autre. Attention ! ajouté-je, lorsque l’expression du visage est d’une neutralité indéchiffrable, loin de moi l’idée d’avoir écrit un livre rébarbatif ! le sujet a beau être morbide, j’ai essayé d’adopter un ton enlevé, presque joyeux pour le traiter !

Souvent, à la lecture du flyer, le visage du lecteur adopte un air extatique. « Ah, l’au-delà, j’y crois, moi ! Moi aussi j’ai perdu un père, une sœur, une cousine… et j’ai des signes… Je sens des odeurs, j’attends des voix, des sons, la radio s’éteint toute seule, j’ai vu un arc en ciel en sortant de la messe… »

J’acquiesce tout sourire, gardant pour moi « un rayon de soleil à travers la pluie et le voilà votre arc en ciel ! ».

Et chacun de me livrer sa petite histoire comme pour me convaincre d’un au-delà auquel je crois dur comme fer depuis que m’est arrivée cette aventure.

« Intéressant, intéressant », opiné-je sans jamais les interrompre alors que ce qu’ils vivent n’est que de la roupie de sansonnet par rapport au contenu du livre.

Lorsque le visage se ferme comme un poing, je fais aussitôt diversion. « Mais j’ai aussi un thriller…psychologique ! » Woups, je constate (trop tard) que le mot psychologie tombe comme un cheveu sur la soupe. Je me rattrape « un roman à suspens qui provoque des sensations fortes et ici, un petit recueil de nouvelles satiriques ou tendres comme le beurre frais sur le thème de l’hôpital… »

Cette fois, c’est le mot « hôpital » qui fait tiquer. « C’est pas bien gai, tout ça ! ». Je souris jaune. « Si ! ça peut l’être ! Encore une fois, c’est selon la manière choisie pour traiter le sujet. La maladie, la mort, on peut en faire quelque chose de joyeux ! »

Pas convaincu, le monsieur… « Hôpital ? lance cette austère infirmière qui vient de se saisir du recueil, vos anecdotes, je les vis en direct, merci bien ! » fait-elle avant de reposer l’objet du délit d’un air dégoutté.

Je n’ai pas le temps d’être désappointée qu’une autre passante accourt droit sur moi, le sourire conquérant : Muriel Martinella ! s’exclame-t-elle d’une voix forte. (Heu… On se connait ?)

« Oh, ce que ça me fait drôle de vous voir en vrai ! je suis infirmière. A l’hôpital, on est toujours en train de se passer votre bouquin, mais cette fois-ci, je vais vous l’acheter ! ».

Ah ben voilà ! Il en faut peu pour repeindre votre moral en jaune.

Entre deux dédicaces, je me transforme en bonimenteuse de foire. Je ne me reconnais plus. Enhardie par le support de mon flyer qui me sert d’approche pour vanter ma marchandise. « J’aurais dû t’embaucher comme commerciale », persiffle mon mari qui se gausse, le nez enfoui dans son Auto Plus.

Je me découvre à aimer ça ! Je me sens toutes les audaces lorsque je flaire une ouverture. « En fait, qu’aimez-vous lire ? vais-je jusqu’à demander. Vers quoi êtes-vous attiré dans le domaine de la lecture ? Le lecteur réfléchit, ne trouve pas… « En fait… j’aime… ça dépend… »

— Vous fonctionnez au coup de cœur !

—Voilà, me dit-il reconnaissant. C’est ça !

Pendant ce temps, les gamins en profitent pour me grappiller en douce des marque-pages, je fais mine de ne pas les voir, qu’ils les distribuent donc à leurs parents, ça me fera de la pub !

Deux femmes arrivent, acceptent le flyer. L’une d’elle s’écrie : Oh, mais c’est le livre que j’ai entendu à la radio !

Entendre un livre à la radio ?

— Quelle radio ?

— Europe 1 !

Les bras m’en tombent : Vous devez vous trompez, je n’ai jamais fait de pub sur Europe 1 !

— Si, si, à l’émission « Libre antenne », je l’ai écoutée l’autre soir, il y avait une dame en détresse parce qu’elle était en deuil de son fils et l’animatrice lui a conseillé votre livre « Au-delà de David » de vous ! Muriel Martinella ! Elle a même dit que le sous-titre « Je ne suis pas mort, je suis juste passé dans la pièce d’à côté » est tiré d’un poème de Charles Peguy ».

Je n’en reviens pas. Sur Europe 1, et je ne suis même pas au courant !

Un auteur à côté de moi me fiche les abeilles. On n’entend que lui, on ne voit que lui avec son chapeau à la Marc Verrat. Il se la joue, ameute son monde, prend par moment un accent italien avec un déploiement de manières et de propos fanfarons et hâbleurs pour en imposer ou étourdir son entourage.

Je tente de crier plus fort que lui « un petit flyer ? ».

L’italien se fait des selfies, demande qu’on le filme sur un portable, rajuste son chapeau, se lève, se rassoit. Il sera sur Facebook dans trente secondes. J’ai horreur des selfies. Prends-moi en photo, fais-je à mon mari, que je publie sur facebook. La gloire, à moi aussi ! non mais !

C’est l’heure du déjeuner, les auteurs sont excités car le repas est servi mais il n’y a rien à boire. Ça arrive ! Ça arrive ! s’activent les animateurs. On parle politique, alors que je voudrais parler littérature. Ça m’ennuie. La dernière bouchée avalée, je file retrouver mon stand. Il y a déjà la queue, j’arrive, j’arrive, un petit flyer ?

Mais ce sont les premières ventes, ceux du matin qui ont tourné, qui se sont décidés, on veut un thriller, on veut le récit spirituel, on veut un roman jeunesse ! doucement, doucement, je n’ai que deux bras… !

Et vous qui marchez ! vous y croyez à la foule devant un stand d’auteur ? Non. On a bien le temps de faire une dédicace entre chaque acheteur, croyez-moi !

Si ! à la réflexion, cela m’est arrivé, une année. La première année où j’ai été publiée. Il avait suffi d’un bon article de journal pour que se forme devant moi une véritable file d’attente qui avait duré l’après-midi sans discontinuer. Du jamais vu. Amélie Nothomb sans son chapeau. C’était pour mes nouvelles sur l’Hôpital. Les mêmes que je vends aujourd’hui.

« Tu peux me ramener une gaufre au nutella », soufflé-je à mon mari.

Le nutella, ça me détend. Il suffit de bien s’essuyer les doigts avant de dédicacer et d’enlever toute trace de chocolat avant de sourire.

« J’en veux une, moi aussi, » disent les enfants venus s’enquérir de mon livre jeunesse.

Un auteur qui mange une gaufre est beaucoup moins intimidant qu’une femme à chapeau, qu’on se le dise !


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