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  • Muriel Martinella

DANSER AU BORD DE L’ABÎME de Grégoire Delacourt


Il est de ces livres bouleversants qui vous touchent par leur petite musique, par l’intonation apportée à leur prose, par le choix et le rythme des mots qui vous troublent et vous emportent et qui finissent par vous laisser une empreinte indélébile.

« Danser au bord de l’abîme » m’a fait chavirer. Je suis tombée sous le charme de cette histoire qui commence pourtant de la plus banale des façons : une histoire d’adultère, encore une, chez une femme qui aime son mari et qui, paradoxalement, va le tromper. (Tiens, j’ai déjà lu quelque chose dans le genre du côté de Sarah Chiche).

Emma, la quarantaine, mène une vie heureuse auprès de son mari aimant et de leurs trois enfants dans une confortable villa. Une famille heureuse.

Grégoire Delacourtn’a pas son pareil pour se mettre dans la peau des femmes. Il en a été une dans une vie antérieure, ce ne peut en être autrement, et si l’on m’avait caché le nom de cet auteur, j’aurais juré ce roman écrit par l’une d’elle tant il a su fouiller les tréfonds de la psyché féminine pour en extraire les émois de sa plume délicate et romantique.

Emma aime son mari, donc, et ses trois enfants, et tenir sa petite boutique de vêtements ne lui déplait pas. Seulement voilà, au cours d’un déjeuner dans un brasserie, elle va remarquer Alexandre, le genre d’homme qui fait tout quitter à une femme, rien que par la manière de s’essuyer délicatement les lèvres de sa serviette ou de rire avec ses amis. Elle aime sa voix d’acteur, singulière et chaude et la flèche de Cupidon est plantée.

Elle ne veut pas d’un amant, elle veut un vertige, un vertige irrépressible. Elle veut être une femme désirée.

Elle se jettera dans la gueule du loup.

La prouesse de Grégoire Delacourt est d’avoir transposé son roman sur le conte de la petite chèvre de Monsieur Seguin, et ces deux histoires s’épousent parfaitement, il fallait y penser.

A la manière de ce conte, l’auteur va tâcher de nous faire comprendre la mécanique du désastre, comment et pourquoi, Emma (ce n’est pas pour rien que ce prénom a été choisi) va inciser à jamais le cœur de ceux qu’elle aimait.

A partir de cette rencontre, l’herbe du clos va lui paraître fade. L’ennui va lui venir…

« Monsieur Seguin s’apercevait bien que sa chèvre avait quelque chose, mais il ne savait pas ce que c’était… »

Elle va se mettre à danser au bord de l’abîme. « Ce n’était pas la peur de tomber qui faisait pousser les ailes. C’était la chute. Sa chute, qui avait soudain donné à Blanquette la force de redoubler de coups de corne alors que les étoiles s’éteignaient l’une après l’autre. Ma chute, qui avait dû être écrite au premier jour, avant Olivier, avant les enfants. C’était peut-être leur amour qui m’avait fait désirer celui-ci, qui m’y avait conduit. J’avais honte, en même temps, je me consumais. »

Une Emma Bovary exténuée de désir, qui ne peut résister à cette voix à la Samy Frey, à ce regard qui la rend belle. Qui lui donne des ailes.

« Je veux aller dans la montagne, monsieur Seguin. »

Une femme perdue.

« Vous me ferez danser ?

—Oui.

—Tourbillonner ?

—Oui.

—Jusqu’au vertige ?

—Oui.

—Vous me rattraperez ?

— Oui.

—Vous me retiendrez toujours ?

—Oui, mais pourquoi voulez-vous danser ?

—Parce que lorsqu’il danse, mon corps redevient barbare.

—Alors je vous mangerai.

Y a-t-il plus beau dialogue que celui-ci ?

J’ai trouvé ce roman bouleversant, par ailleurs, en raison des trois enfants abandonnés dont l’aînée a seize ans : « Ses larmes dessinent des griffes noires sur ses joues. Elle dit, mais c’est papa, il t’aime. Tu ne peux pas lui faire ça. Tu ne peux pas nous faire ça. Elle supplie. S’il te plaît, maman. Elle jure, elle promet des choses. Je ferai le ménage, les courses, tout ce que tu voudras. Je ne te piquerai plus ton maquillage. Je vais te racheter les chaussures que je t’ai abîmées. Je m’occuperai de toi quand tu seras vieille. Je te laverai. Je te ferai à manger. »

Le désastre couve, mais Emma reste sourde. Aveugle aussi.

« Pauvrette ! avait écrit Daudet, de se voir haut perchée, elle se croyait au moins aussi grande que le monde. »

Emma tiendra-t-elle jusqu’au matin dans l’espoir de voir s’envoler ses souffrances avant de

disparaître ?

Un roman haletant.

Présentation de l'éditeur

« Moi, je crois au premier regard, maman. Je crois à la première impression. Je crois au langage de la chair. Au langage des yeux. Au vertige. À la foudre. ― Ce à quoi tu crois, ma petite fille, cela aboutit au chagrin. » Il y a les promesses que l’on se fait à vingt ans, et les rencontres que nous réserve le hasard. Il y a le bonheur que l’on croyait tenir, et celui après lequel on court. Il y a l’urgence à vivre. À mesure que l’histoire, tragique, se déploie, c’est comme si Grégoire Delacourt prenait lui aussi son envol. Rien que pour ces fulgurances, éloges à l’indulgence et à la vie, Danser au bord de l’abîme mérite d’être lu. Lou-Eve Popper, Lire.

Biographie de l'auteur

Grégoire Delacourt est l’auteur de six romans. En 2011, il publie son premier roman, L’Écrivain de la famille puis, en 2012, son premier bestseller avec La Liste de mes envies traduit dans 35 pays. Suivent ensuite La Première chose qu’on regarde en 2013, On ne voyait que le bonheur en 2014 et Les Quatre saisons de l’été en 2015. Son dernier roman, Danser au bord de l'abîme, a paru en janvier 2017 chez JC LATTES.


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