Au casse-pipe ?
- murielmartinellaauteur

- 14 août
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 15 août
J'ai le plaisir de partager avec vous ma nouvelle "Au casse-pipe ?" parue cette semaine sur le journal régional "La Tribune". Pour le Cercle des auteurs ardéchois dont je fais partie, la contrainte de cette année était de commencer le texte avec "A côté de la plaque". Elle est accompagnée d'un dessin de Roland Hours.
« À côté de la plaque, tu es à côté de la plaque ! » se dit-elle, alors qu’elle était venue se réfugier au bord d’un océan en colère.
Elle avait fait le mauvais choix en quittant celui qui depuis ce matin était devenu son ex. Obéissant à une sorte d’instinct dont elle regrettait déjà l’impulsivité. Perdue dans ses pensées, le nez au sol, elle suivait d’une démarche incertaine les fraîches empreintes de pas sur le sable.
Soudain, elle se retrouva dans la queue d’une file d’attente dont la tête lui était cachée.
Qu’y avait-il là à attendre ? Où se rendait cette foule ?
En maillots de bain, on surgissait de nulle part pour prendre place derrière elle. Elle aurait pu se détacher de la horde de baigneurs, mais la curiosité l’emporta.
— Pardon, demanda-t-elle à une trentenaire en paréo frangé ( ses épaules dénudées et tavelées de taches de rousseur accusaient un méchant coup de soleil ), qu’attendent tous ces gens ?
La fille dirigea vers elle des yeux écarquillés.
— Vous n’êtes donc pas au courant ?
Autour d’elles, les femmes présentaient des signes de nervosité à grignoter leurs bouts de doigts, à talocher leurs enfants intenables. Les hommes, tels des pur-sang parqués, battaient le sable de leurs tongs. Certains les propulsaient en l’air d’un orteil adroit pour les renfiler tout aussi prestement.
Elle nota ce qui lui avait échappé jusqu’ici : à l’unanimité, ces baigneurs étaient roux ou anciennement roux, identifiables à leur peau argentée, criblée d’éphélides, même si leurs têtes grisonnaient. Tous étaient efflanqués, sinon décharnés. De grands échalas fauves, aux côtes et aux hanches en relief de leurs corps blancs.
Sa propre chevelure, dissimulée sous un foulard, faisait exception par sa blondeur. Personne ne semblait remarquer, non plus, ses quelques kilos de trop parmi la maigreur collective.
... Vous n’êtes vraiment pas au courant ? J’y crois pas...
La fille en paréo prit les autres à témoin en distribuant son expression incrédule à la ronde.
...Mais dans ce cas, que faites-vous ici ?
— Je suis là par hasard. (Elle n’allait pas expliquer à cette péronnelle, ce sentiment confus
d’être à côté de ses pompes à la suite d’une prise de bec conjugale ?)
Un clone du prince Harry dirigea sur elle le bleu de son regard.
— Vous ne lisez donc pas les journaux ? vous n’avez pas la télé ?
Derrière elle, la tribu aux cheveux orange s’agitait comme une canopée de feuilles d’automne et continuait de s’accroître. Bientôt, un agglomérat de corps à moitié nus se pressa contre elle à l’étouffer. La nécessité de s’enfuir, de quitter cette promiscuité, cette moiteur qui lui collait à la peau, devint impérieuse. Vitale.
— Pardon ! fit-elle en cherchant à se dégager des Mylène Farmer, des Audrey Fleurot ou autres Ed Sheeran.
De l’air, de l’air, mes poumons vont éclater...
Mais au lieu de s’effacer sur son passage et faciliter sa fuite du groupe, l’étau humain se resserra autour d’elle.
— Excusez-moi, insista-t-elle avec des contorsions d’anguille de mer, s’il vous plaît, laissez-moi partir...
La file d’attente s’était épaissie de part et d’autre. On ne savait où elle commençait, où elle finissait, les extrémités de cette longe humaine disparaissant derrière les dunes. Des centaines de personnes aux corps blancs et squelettiques, attirées vers un même but, progressaient du pas lent et sûr d’un montagnard.
Dans les rangs, un enfant pleura et ses sanglots désespérés achevèrent de lui glacer le sang.
— Où va-t-on ? fit-elle en s’efforçant de maîtriser le tremblement de sa voix. Que va-t-on faire de nous ?
Les gens autour d’elle ne prenant pas la peine de lui répondre se contentèrent d’avancer sous le soleil de plomb, l’expression fataliste.
Son angoisse se mua en terreur.
Une nouvelle fois et sans succès, elle tenta de se dégager du boyau humain, emportée par la longue chenille qui progressait sur le sable.
Une odeur aigre de transpiration montait de ses aisselles.
Se jeter dans la mer toute proche... Échapper à cette...
Les larmes aux yeux, elle implora à la ronde.
— Je vous en prie, où nous emmène-t-on ?
Quelqu’un marmonna des paroles indistinctes parmi lesquelles, lui parvient l’expression « au casse-pipe » et son dos ruissela de sueur.
— Quoi ? fit-elle d’une voix blanche, pouvez-vous répéter ?
Alors, on répéta :
— Au casting ! ils demandent des roux pour le prochain film de Besson. Vous n’êtes pas rousse, vous ! Et pas maigre non plus, comme ils nous l’ont imposé pour la figuration ! Qu’est-ce que vous fichez, là ? »








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