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  • Muriel Martinella

Si "Dr Sleep" m'a endormie, "Dans la chambre de l'ogre" m'a croquée


Toute Jeune, dans les années 70/80, j’ai éprouvé les fameux grands frissons en dévorant les tout premiers roman de Stephen King : Carry, Cujo, Shining, Cimetière, Misery… Ces livres absolument adorés pour leur originalité, leur cruauté, leur puissance et leur perfection littéraire. On découvrait alors le plus grand écrivain d’horreur de la seconde moitié du XXe siècle.

L’histoire, généralement située dans le Maine, s’engageait sous de joyeux auspices au sein d’une gentille petite famille américaine constituée d’enfants et d’adorables animaux domestiques pour se corser de page en page, jusqu’à l’épouvante absolue. L’intrigue si adroitement menée qu’on versait, presque s’en rendre compte, dans un surnaturel qui nous paraissait « plausible ».

Et puis, à partir des années 90, j’ai décroché. Pour moi, le King s’est mis à délirer, à s’aventurer, avec tapage et un maximum d’effets faciles, de plus en plus loin dans le fantastique gore, me laissant au bord de la page, ses délires me portant presque à sourire. Même pas peur !

En 2000, son guide sur l’écriture « Ecriture, mémoire d’un métier » est venu à point nommé et m’a été d’un grand secours lors de mes premiers romans… Et j’y ai encore recours de temps en temps. Le maître est de bon conseil.

Et puis, cette année, faisant fi de mes préjugés sur sa nouvelle bibliographie, et me rappelant le célèbre « Shining », j’ai voulu donner une chance à sa suite « Docteur Sleep ».

Est-ce moi qui ai changé ou l’écriture du King est-elle moins efficace à mes yeux ?

Toujours est-il qu’au bout du quinzième assaut où chaque tentative se résumait à la lecture laborieuse d’une dizaine de pages avant que mes yeux se brouillent d’ennui, je me suis dit « Stop ! »J’allais employer une année à lire ce livre ! Il fallait me l’avouer, les histoires de petits garçons que l’on fait souffrir longuement afin d’en extraire la vapeur pour nourrir des zombies, tout ça n’était plus pour moi et m’ennuyait à mourir… (Ah, retrouver les effets psychologiques d’un Cujoou d’un Simetierrequi jouaient avec nos nerfs…)

C’est donc sans regret que j’ai quitté ce « Docteur Sleep » au pouvoir soporifique pour revenir à une littérature française revigorante.

DANS LE JARDIN DE L’OGRE DE LEÏLA SLIMANI

Ne vous fiez pas à son sourire candide, ni à ses boucles d’angelot. La jeune Slimani est une portraitiste intraitable pour dénoncer les travers humains de son écriture glacée. J’avais profondément apprécié son roman « une chanson douce » qui lui avait valu le prix Goncourt en 2016. J’avais aimé le sujet, l’écriture, le rythme, la musique… J’ai donc entamé « Dans le jardin de l’ogre » et des premières lignes à la dernière, la magie a opéré…

Autant docteur Sleepme donnait à penser que j’étais fatiguée, en manque de concentration, trop distraite pour suivre son histoire les yeux ouverts, autant ce livre-là, je n’ai pu le lâcher.

J’ai retrouvé avec bonheur (bien qu’il ait été écrit auparavant) la plume incisive et adorée d’une « Chanson douce ». « Dans le jardin de l’ogre » ne se révèle pas plus douce comptine puisqu’il raconte, en excluant toute sentimentalité,la fuite en avant mortifère d’une nymphomane.

Adèle aurait tout, a priori, pour être heureuse. Elle est journaliste de presse écrite, a épousé un gastro-entérologue, ils élèvent leur petit garçon, possèdent un joli appartement, mènent une petite vie bien rangée que beaucoup envierait. Mais voilà, la jeune femme se sent à l’étroit dans cette petite bourgeoise bien comme il faut et souffre d’un mal qui petit à petit la dévore : la nymphomanie.

Comment, pourquoi devient-on nymphomane ? Pas par amour du sexe. Celui-ci devient plutôt arme d’auto-destruction lorsqu’on a souffert dans l’enfance de mauvais traitements et que l’on traîne, depuis, de profondes blessures narcissiques, des carences affectives et le manque d’estime de soi. Par petites touches déposées en filigrane, on comprend ce qui entraîné ce cercle vicieux dans lequel se démène cette pauvre Adèle. Elle qui n’a trouvé d’autre moyen pour exister que de se livrer à ses bas instincts, que de descendre au plus bas, toujours, jusqu’à la lie avec l’exaltation des imposteurs non encore démasqués. Et c’est avec une même violence, convertie en puissance littéraire, que Leïla Slimani nous dépeint cette libido auto-destructrice où l’amour, le bonheur, et même le plaisir, sont exclus.

La course folle va forcément finir contre le mur, et, au fond d'elle-même, Adèle espère sans doute la punition, lassée de mentir, de mener cette double vie…

On ne peut qu’être touché par les personnages très réalistes d’Adèle et de Richard son mari, qui s’accrochent pour ne pas tomber, tels des alpinistes sur la paroi. J’ai été impressionnée par la maîtrise et la justesse de ce premier roman. Chaque mot est à sa place, jusqu'à la dernière ligne.

Epoustouflant !

LE RÉSUMÉ « DANS LE JARDIN DE L’OGRE »

Adèle semble heureuse avec Richard, le médecin qu'elle a épousé. Pourtant, elle ne peut s'empêcher de collectionner les conquêtes. Dans le jardin de l'ogre est l'histoire d'un corps esclave de ses pulsions que rien ne rassasie. Un roman féroce et viscéral sur l'addiction sexuelle et ses implacables conséquences.

EXTRAIT

"Une semaine qu'elle tient. Une semaine qu'elle n'a pas cédé. Adèle a été sage. En quatre jours, elle a couru trente-deux kilomètres. Elle est allée de Pigalle aux Champs-Élysées, du musée d'Orsay à Bercy. Elle a couru le matin sur les quais déserts. La nuit, sur le boulevard Rochechouart et la place de Clichy. Elle n'a pas bu d'alcool et elle s'est couchée tôt. Mais cette nuit, elle en a rêvé et n'a pas pu se rendormir. Un rêve moite, interminable, qui s'est introduit en elle comme un souffle d'air chaud. Adèle ne peut plus penser qu'à ça. Elle se lève, boit un café très fort dans la maison endormie. Debout dans la cuisine, elle se balance d'un pied sur l'autre. Elle fume une cigarette. Sous la douche, elle a envie de se griffer, de se déchirer le corps en deux. Elle cogne son front contre le mur. Elle veut qu'on la saisisse, qu'on lui brise le crâne contre la vitre. Dès qu'elle ferme les yeux, elle entend les bruits, les soupirs, les hurlements, les coups. Un homme nu qui halète, une femme qui jouit. Elle voudrait n'être qu'un objet au milieu d'une horde, être dévorée, sucée, avalée tout entière. Qu'on lui pince les seins, qu'on lui morde le ventre. Elle veut être une poupée dans le jardin de l'ogre."

L'AUTEUR

Leïla Slimani, lauréate du Prix Goncourt 2016 avec le livre "Chanson douce". Leïla Slimani, née le 3 octobre 1981 à Rabat au Maroc, d'une mère franco-algérienne et d'un père marocain, est une journaliste et écrivain franco-marocaine. Élève du lycée français de Rabat, Leïla Slimani grandit dans une famille d'expression française1. Son père, Othman Slimani, est banquier ; sa mère est médecin ORL, mi-alsacienne, mi-algérienne. En 1999, elle vient à Paris pour ses études où elle est diplômée de l'Institut d'études politiques de Paris. Elle s'essaie au métier de comédienne (Cours Florent), puis décide de compléter ses études à ESCP Europe pour se former aux médias. A cette occasion, elle rencontre Christophe Barbier, alors parrain de sa promotion, qui lui propose un stage à L'Express. Finalement, elle est engagée au magazine Jeune Afrique en 2008 et y traite des sujets touchant à l'Afrique du Nord. En 2014, elle publie son premier roman aux éditions Gallimard, Dans le jardin de l'ogre. Le sujet (l'addiction sexuelle féminine) et l'écriture sont remarqués par la critique et l'ouvrage est sélectionné pour le prix de Flore 2014. Son deuxième roman, Chanson douce, obtient le prix Goncourt 2016.


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